6 mars 1915 reçue le 12/3

Bergerons 44e lettre    ER    reçue le 12/3

 

Mon bien aimé

Tu dois commencer à croire que je t’oublie, car je ne t’ai rien envoyé depuis le 2 mars. Il n’en est pourtant rien, cher et bien-aimé, mais je suis négligente et puis de voir que l’on te change si souvent de secteur cela me donne parfois l’idée que peut-être mes lettres ne te parviendront pas. Dernièrement je t’en ai envoyé plusieurs très longues; les auras-tu reçues? Bien qu’il n’y ait rien de particulier, je ne me rappelle pas ce que je te racontais, je regretterais si elles se perdaient.

Hier nous avons tué le porc. Aujourd’hui je reçois une aimable carte de Mme Broc de Chabeuil et j’en profite pour te tracer ces quelques mots, le facteur attend. Donc je ne serai pas plus longue. Tu ne m’en voudras pas n’est ce pas? Tu peux croire que je t’aime bien et pense beaucoup à toi. Je me reproche de ne pas t’avoir écrit plus longuement ces jours derniers.

 

Je t’embrasse bien

Emma.

 

J’ai reçu ton colis et une lettre avec, datée du 26

 

Je crois savoir à peu près où tu es. Jeudi passé j’étais à la Pine à la réunion, j’ai causé avec Mr. Cros le chef cantonnier. Il est au même secteur et avait dit à sa femme il y a quelque temps exactement où il était. Tu me diras si vous vous rencontrez. Il y a encore le frère ou le beau-frère, je ne sais plus bien de la femme du meunier de Monepiat, qui a écrit qu’il avait Molle pour adjudant. Le connais-tu? La femme du meunier disait à mon papa que je t’en parle afin qu’au cas où il y aurait quelque chose s’il était possible, elle aimerait bien que tu les préviennes.

Encore un adieu de ton épouse chérie

 

Emma

7 mars 1915 Bergerons 44e lettre   ER   reçue le 12/3

 Cher et bien aimé Reymond.

Il est 1 heure 30, je viens de m’habiller pour aller à la réunion de l’après-midi et avant de partir je te trace vite ces quelques mots. J’avais pensé mener Georges, mais le temps étant couvert, je crains la pluie, je ne le mènerai donc pas, d’ailleurs, le pauvre petit serait peut-être sot. Il n’a guère envie de venir, parce que je lui ai promis de le fouetter au cas où il ferait du bruit. Il sait que mes menaces se réalisent quelquefois, aussi vient-il de me dire qu’il viendra demain. Lorsque il fera bien jour. Je pense qu’il veut parler de la lumière du soleil, parce que aujourd’hui on ne le voit guère. Il était à la porte sous le hangar lorsque j’ai commencé ta lettre et déjà il n’y est plus. Il doit être chez l’oncle Eugène; c’est plusieurs fois par jour qu’ils ont sa visite; ma tante doit probablement lui donner quelque chose pour l’attirer, car souvent il pleure lorsque je vais le chercher. Souvent il m’en demande la permission. De peur d’un refus il ajoute: je resterai guère, je ferai pas batailler la tante. Les jours où il n’y a pas classe, il joue quelques heures avec Fanny. Je lui ai cherché un des premiers petits livres de sa maman qui est bien endommagé, néanmoins je commence à lui faire répéter ‘A’, ‘I’, ‘O’, et ainsi de suite. Il a l’air d’y mettre toute son attention.

 

Mon chéri, je n’ai rien reçu de toi depuis le 4 où j’ai eu une lettre et ton colis, cela ne fait que 3 jours, peut-être aujourd’hui mes parents m’apporteront-ils une lettre à leur retour. Eva du Tracoulet en reçoit une d’Elie environ tous les 15 jours. Ne sachant pas écrire il ne peut lui faire parvenir de ses nouvelles que rarement. Elle s’y est habituée et elle les attend patiemment. Pour moi, si je restais 15 jours je languirais énormément. Jusqu’à maintenant je n’ai pas eu cet ennui, grâce à Dieu.

Le porc que nous avons tué n’était pas très gros. Il mangeait peu aussi le lard n’est pas large. Je crois que la truie en fera heureusement; ils sont très chers, paraît-il. N’étant pas entièrement fixée je n’ose pas l’engraisser. Les gras sont également chers ils valent de 60 à 70 frs. Mon papa me conseillait de l’engraisser le plus vite possible au cas où elle ne ferait pas de petits. Je souhaiterais qu’elle en fit car on en trouvera que difficilement pour se remonter. Je dis je souhaiterais car tout dépend comment les choses tourneront. Les jeunes sont toujours beaux. Je crois qu’il vaut mieux que je continue d’en avoir soin et les vendre dès que je le pourrais. Cela éviterait du travail, tant pis s’ils ne sont pas lourds; le bois aussi pour s’en procurer revient très cher. J’ai eu cette semaine 2 jours Viouja; ? il m’a pris 2 frs. Il fait assez beau.

Nous avons rentré un fenil, Marcel du Bâtiment pour aider à le rentrer.

Je me hâte, c’est l’heure de partir. Mes parents sont de retour et me remettent ta carte du 27 No 33 et une lettre de la tante des Orges écrite aux Bonnets, Lydie y a ajouté quelques mots. Tous te saluent. Paul est de nouveau dans les tranchées ou sur le point d’y aller. La tante me dit que les vieux Grandouiller retourneront aux Orges après le 25 mars.

J’envoie cette après-midi mon papa porter les intérêts de Mr. Fassas.

 

De bons et affectueux baisers de celle qui t’aime

Emma.

 

38 e lettre 12 mars 1915

 

Ma bien chère Emma

 

J’ai reçu tes deux lettres datées l’une du 6 et l’autre du 7 Mars. Elles étaient numérotées toutes les deux 44 ème. Il aurait pu s’en perdre une que je ne m’en serais pas aperçu. C’est un petit oubli que tu as fait. Cela n’est pas difficile car je vois que ces deux lettres ont été écrites rapidement. Je suis bien content de ces deux lettres, il y avait deux ou trois jours que je n’avais rien reçu, aussi sont-elles bienvenues.

Tu m’excuseras si j’ai resté 3 jours sans t’écrire. Je voulais t’envoyer un mandat, je ne sais pas si je pourrai te l’envoyer dans cette lettre car j’ai bien donné les 50 fr, mais le vaguemestre ne m’a pas apporté le mandat. Peut-être l’aurai-je avant d’expédier la lettre. En tout cas ce sera dans une autre lettre.

Je suis heureux que mon colis du 27/2 te soit parvenu, tes lettres ne seront pas perdues. Si nous avons le bonheur de nous revoir, ce sera un souvenir de pouvoir les relire ensemble. Tu crains que tes lettres ne me parviennent pas, à cause de ce changement de secteur, mais je crois qu’elles m’arrivent la même chose, puisque aucune ne s’est perdue.

Tu me demandais si je connaissais le beau frère de Mme Lerisset. C’est le frère du meunier, tu ne te trompais pas. Je le connais, car il est à ma Compagnie. Tu peux dire à Mme Lerisset que s’il lui arrivait quelque chose je le lui ferais savoir; elle n’a qu’à m’écrire. Vois-tu de temps à autre Mme Pourret ? Les nouvelles de Raoul sont-elles bonnes ?

Quant à Cros, je ne l’ai pas vu. J’ai vu un camarade de son Bataillon que tu connais aussi, c’est M. Dulac de St. Péray, le fabricant de bouchons. La Compagnie où est Cros est plus loin et je n’ai pu le voir.

Dans ta deuxième lettre tu  me dis que tu n’as pas conduit Georges à la Réunion. Je vois qu’il doit faire un peu trop ce qu’il veut. Il faudrait dès son bas âge lui apprendre à obéir à ses parents. Mais je sais aussi que les mamans sont toujours plus faibles pour leur enfant. Cependant ce serait lui rendre service que de l’apprendre à écouter ce que tu lui dis. Pauvre petit, combien de fois je souhaite de pouvoir le voir.

Toi aussi chérie, je voudrais bien être auprès de toi, de pouvoir t’embrasser et te couvrir de mimis, comme autrefois.

Comme tu dois avoir du travail, tu dois bien te fatiguer. Tu as encore trop de porcs. Je crois que tu ferais bien de faire comme tu dis, de te débarrasser des deux jeunes. Tu en aurais encore bien assez avec celle qui te resterait.

Tu ne me dis pas si l’oncle Eugène vient vous aider souvent. Va-t-il travailler ailleurs?

 

Penses-tu que tu pourras faire charrier assez de bois pour l’été? Si tu  peux évite d’attendre l’été.

 

Chère Emma, nous sommes dans ce village-ci depuis plus d’une semaine. J’ai fait connaissance de plusieurs amis chrétiens. Nous avons trouvé une chambre où nous nous réunissons chaque soir pour lire la Parole et prier. Comme l’on est heureux de se trouver ainsi et de pouvoir causer des choses à venir. Nous sommes à présent huit. Nous sommes trois de ma Compagnie. Moi, un caporal et mon ordonnance. Il y a un nommé Bard de St. Basile, un nommé Roux de Piégros près de Ponsoye. Les deux ne sont pas à ma Compagnie. Chose étonnante nous sommes tous de l’Ardèche. Si nous n’avons pu nous réunir avant, c’est qu l’on ne trouvait pas de local et que nous ne restions pas assez dans chaque village. Aurons-nous ce bonheur de nous réunir pendant longtemps? Dieu le sait.

J’ai reçu une carte de Courret de Fringuet. Sa femme a du te demander probablement mon adresse, je lui est répondu le 9 ou 10/3. Il a passé un moment où nous n’étions  pas à 20 Kilomètres l’un de l’autre.

Ce soir je ne suis pas été rejoindre mes camarades au local, car j’avais trop plaisir de t’écrire, il y avait déjà bien longtemps que je n’avais pas causé avec toi. Je crois que nous n’avons pas à craindre de ne pouvoir plus nous correspondre. Aujourd’hui j’ai vu sur un journal que ces bruits étaient lancés par des allemands. Donc nous pourrons toujours nous écrire. Quel bonheur, n’est-ce pas?

Je te laisse pour aujourd’hui ma chère Emma et je te remercie de traités que tu m’as envoyés. Nous nous les faisons passer les uns les autres.

 

Je t’embrasse bien fort et te couvre de baisers

Ton époux

Molle.