30 Mars 1915

Mon cher petit Georges

 

Je voulais t’écrire plus tôt mais j’attendais pour que ma lettre t’arrive à ton anniversaire. Je sais que tu ne pourras pas la lire, mais ta maman te la lira.

Ensuite tu apprendras plus tard à la lire toi-même. Pour cela il te faudra bien apprendre tes lettres. Elles apprennent de jolies histoires, ces petites lettres noires.

Je pense que tu es bien sage, et que la maman est bien contente de toi. Si je reviens je ne voudrais pas voir un petit qui ne soit sage et pas obéissant.

Il ne faut pas faire de la peine à ta chère maman. Lorsque tu seras plus grand il faudra lui aider. Mais déjà tu es grand.

Tu embrasseras le grand papa et la grand maman et leur feras beaucoup de caresses. Fais-en autant à la maman.

Envoie-moi ta photographie bientôt. Tu le fera voir à ton camarade Léopold.

 

Adieu mon petit Georges je t’embrasse bien tendrement, ton papa

Reymond Molle.

 


52e lettre Bergerons 23 mars 1915       ER   reçue le 30/3

 

Mon époux bien-aimé,

 

Quelle joie pour moi de pouvoir, au milieu de mes occupations diverses, passer quelques instants à t’écrire. Ce n’est certes pas comme si je te causais de vive voix, mais c’est un privilège pourtant. Aujourd’hui je viens de recevoir 4 lettres, la tienne du 17 mars, no 41 et qui en contenait des miennes, une carte de Lydie et Paul Gourdol de Montpellier, une carte d’ Emma de Françillon et une quatrième lettre de Mme Broc.

Voici le résumé de chacune d’elle. Lydie était à Montpellier depuis mercredi avec son garçon et une de ses belles soeurs. Ils comptaient revenir hier, Paul n’est pas blessé grièvement, ses vêtements l’on préservé; il se promène tant qu’il veut, sa blessure est au cou et occasionnée par un éclat d’obus. Sur l’enveloppe il y a hôpital temporaire no 24. Ce doit être son adresse. Emma Gourdol me dit qu’elle vient de t’écrire en même temps qu’à moi et elle ne me parle pas s’ils viendront bientôt ou pas encore à Valence, ni qu’ils aient reçu de lettre de moi; peut-être avait-elle du retard et ne l’auront-ils eu qu’ après m’avoir écrit. En tout cas si je savais exactement quel jour je mènerai Georges à Valence je le leur enverrais; Marie me disait le 3 janvier qu’elle avait bien envie de le voir. Si je ne les vois pas avant la fin du mois je leur enverrai leurs intérêts par la poste.

Passons à celle de Mme. Broc. Cette bonne amie est venue un lundi, il y a quinze jours, exprès au marché à Valence, pensant m’y rencontrer. Ce jour là je n’y étais pas. Berthe est fatiguée de la grippe depuis quelques jours, elle doit avoir une remplaçante, car elles pensent venir rester quelques jours à Valence. S’ il en est ainsi je tâcherai de les voir et de passer un moment avec elles lorsque j’irai au marché. Elle t’envoie le bonjour et me dit qu’elle aurait grand plaisir de me voir, et la preuve…..

Tu me dis, cher Reymond que tu aurais bien plaisir d’avoir notre photographie. Je te l’enverrai, ce n’est pas impossible, mais tu ne pourras pas la recevoir de longtemps encore, car je ne puis descendre à Valence cette semaine. J’aurai suffisamment pour aller au marché jeudi, je ne peux guère que porter mon beurre avec Georges. (je crois qu’il tiendra largement la place d’un panier) mais vu que la faïne ne va pas bien, je ne puis pas m’absenter pour un jour entier jusqu’à ce qu’elle ait son veau. Les deux dernières nuits mon papa a couché à l’étable et dans la journée nous allons la voir très souvent. Ainsi, les uns et les autres nous ne la quittons guère. D’ici à lundi elle aura probablement le veau, et elle ira ou mieux ou tout à fait mal.

Il ne t’en faut pas trop tracasser; il se peut que dans deux ou trois jours elle soit même guérie. Je n’irai pas non plus aux Bonnets cette semaine pour la même raison à moins que je puisse y aller vers les derniers jours.

Hier j’ai fait dire à Barbier de venir la voir, mais je m’aperçois qu’il ne vient pas matin, il est midi passé. Je doute qu’il vienne. Il devait venir au Bâtiment dans la matinée tuer le porc. Ma tante est bien faible et ne peut guère travailler. Elle a dû consulter, ses jambes enflent.

Ce matin nous avons fait le pain. Je m’interromps pour le sortir du four, il doit être cuit. Ce soir j’irai au Tracoulet, il y a quelque temps, 3 semaines, j’avais du en emprunter quelques kilos à Eva. Ces jours-là cela nous aurait beaucoup dérangé pour cuire. Elle m’avait dit que je n’avais pas besoin de le lui rendre de sitôt, elle en avait chez elle pour jusqu’à la fin du mois. J’ai donc attendu de cuire une seconde fois afin qu’elle l’ait frais. Je lui ferai porter ta lettre  St. Péray si elle y va demain.

Cher Reymond, malgré le plaisir que j’ai à lire une longue lettre, ne te fatigue pas trop pour moi. Je comprends que tu as beaucoup à faire et puis aussi je ne voudrais pas t’attirer des ennuis pour trop me causer; ainsi ne me dis que ce dont tu es sûr qu’on laisse passer, je ne veux pas te faire gronder ou punir. Avoir de tes nouvelles personnelles c’est déjà beaucoup pour moi. Je ne crois pas qu’aucune de tes lettres ait été ouverte; je n’y ai jamais rien connu.

Ne languis pas à mon sujet, tu crois peut-être que je suis malade, mais non, je ne le suis pas. J’ai rarement mal de tête et mon bras quoique bien endommagé, ne me fait presque plus mal. Je t’assure que j’en avais réellement besoin de cette mouche, ce pus ou toute saleté ne m’aurait guère été favorable sans doute.

De temps à autre je sens une légère douleur à une de mes dents de devant. Si elle me faisait souffrir j’irai vite voir un dentiste pour la faire plomber avant qu’elle soit trop cariée. Je plaindrais de la laisser perdre.

Peut-être me verrai-je obligée d’y aller sous peu pour mes autres.

Georges quoique très maigre, se porte bien. Mes parents aussi. En ce moment ils font le trèfle des vignes, maman va devant les vaches et moi je suis seule avec Georges. Ils ont fait samedi celui des Préaux, ainsi que l’avoine. Le temps est frais et couvert, on dirait qu’il va pleuvoir.

Je te laisse mon cher époux, j’irai peut-être biner les fraisiers du jardinet; il y a aussi cet arbuste du jardin de là bas. Si tu te souviens que je voulais apporter ici, j’aurais besoin d’aller le chercher avant qu’il ait tant poussé; c’est peut-être même un peu tard pour le transplanter.

Tu dois penser que je me chagrine pas à ton sujet sans quoi je n’aurais plus goût aux fleurs.

Oh! va, il y a tant de jours ou il m’est tout à fait indifférent qu’elles vivent ou meurent.

Je t’embrasse bien et bien des fois

 

Ton Emma.

 

 

49e lettre 30 mars 1915

 

Ma bien chère femme,

Quel plaisir j’ai eu ce matin en recevant deux lettres de ta part les No 51 et 52. Jusqu’à présent elles me sont toutes parvenues. Bien souvent j’en reçois plusieurs à la fois, mais qu’importe pourvu qu’elles arrivent. Eh! Chérie je croyais que tu me disais que tu ne me voulais plus écrire aussi longuement, mais je vois que tu m’as envoyé un vrai journal. Il me semblait en te lisant que j’étais là-bas et que je voyais ce que tu me disais.

Tu me disais si j’avais pensé au 4ème anniversaire de notre mariage. Le 21/3 nous avons fait une étape pénible et certes je n’avais pas l’esprit à cela. La nuit j’avais eu passablement froid, et le 22 cela a été pareil. Avant ce jour j’y avais pensé bien souvent, ces jours-ci encore je méditais là dessus. Hélas oui, notre vie aurait pu être mieux remplie si mon coeur n’avait pas été autant attiré vers les choses de cette terre.

Ah! que ma foi a été faible. Combien de fois je sais que je t’ai fait de la peine, pourtant je t’ai toujours aimée du plus grand amour.  Bien souvent tu me disais que je t’aimais pas, tu ne croirais jamais comme cela m’était pénible de te voir chagrinée. Oui chérie, je t’aime beaucoup, beaucoup et je comprends que tu es de même envers moi. Tu me dis que bien des choses se sont passées dans l’espace de 4 ans et qui sait si dans moins d’espace il n’arrivera pas de plus grandes choses encore. Je ne crois pas que la guerre touche à sa fin. La verrai-je se terminer, je ne le sais. Je sais que Dieu peut me garder au milieu des balles. J’en ai fait l’expérience bien des fois, que de balles qui ont passé près de moi, coupant des branches ou me faisant éclabousser de la terre. Oui, chérie Dieu garde et protège qui Il veut. Et cette parole n’est pas vaine: « Demandez et vous recevrez ». Bien souvent j’ai été sur le point de me décourager, mais pour le moment, grâce à Dieu, je ne suis jamais été découragé.

Chère Emma, ta lettre m’a fait grand plaisir. Peut-être aucune ne m’a fait autant plaisir que ta 51-ième. Est-ce parce qu’elle est arrivée au lendemain de dures fatigues, je ne le sais. Mais cela a été comme un baume en mon coeur. Que c’est beau d’avoir une compagne comme toi. Tu m’as parlé de tes fleurs, c’est un plaisir pour moi de savoir que tu t’en occupes. Oui les fleurs ont leur language pour ceux qui les comprennent.

Que de choses tu m’as racontées. Tu m’as parlé de Georges. Comme il fait des progrès, j’ai peine à croire qu’il sache si bien compter et que déjà il connaisse des lettres. Continue toujours à cultiver son intelligence.

Apprends-lui aussi à connaître les notes, je vais lui envoyer la gamme avec le nom des notes en dessous de chacune pour que tu les lui apprennes.

Combien je souhaiterais de le voir ne fusse qu’une journée, mais hélas!…

Tu fais bien de me dire tout ce qui t’arrive de fâcheux, je le préfère, car moi aussi je ne te cache pas ce qui m’arrive. Tu y as droit ma chérie.

Pour cette vache je m’attendais à cela, surtout si vous l’avez mise du coté d’en haut de l’écurie. Tu dois te souvenir que l’année passée je te l’avais dit que je craignais pour cela. Enfin qu’il arrive n’importe quoi, ne te désespère pas.

Pour les foins, il ne faudrait pas laisser où c’est plus près et commode à rentrer.

Ainsi il y a Rondez, le pré est de bonne coupe et facile à faner. Le pré de Jacques qui est de mauvaise coupe il n’y aurait qu’à y garder les vaches où l’herbe ne vient pas longue.

Le long des châtaigners par exemple et en bas. Je ne peux pas te donner des conseils d’ici, tu le comprends. Fais comme ton papa te le dira. Ce qu’il fera sera toujours bien fait. Tu peux le lui dire, si je reviens, je ne trouverai pas tort à ce qu’il aura fait. Pour toute récolte il n’y a qu’à ramasser ce qui est le plus facile et économique.

Tu as deviné ma pensée en me disant que tu voulais faire photographier Georges mais je veux aussi la tienne.

Ne pense pas que je trouve que tu gaspilles l’argent, si je t’en envoie c’est pour que tu t’en serves. Je vois que mon papier s’avance ; que je te dise qu’aujourd’hui je ne suis plus dans la tranchée de 1e ligne. Quelques jours de repos sous les hauts sapins dans des huttes  de branches et après on ira relever les camarades qui nous ont remplacé.

Je termine pour aujourd’hui en t’embrassant bien fort sur les deux joues.

embrasse Georges et tes parents.

 

 

Ton époux qui pense à chaque instant à toi.

Reymond.

29 mars 1915-2

48e lettre

 

Ma bien aimée,

Si tu voyais où j’ai passé ces quelques nuits je ne sais pas ce que tu dirais. Peut-être en rirais-tu comme nous le faisons parfois. Figure-toi que j’aie creusé un fossé dans les pins du Rondet, et qu’au lieu de pins ce soit des sapins. En cet endroit où je suis ils sont de la grosseur d’un bras ou d’une jambe.

Je dis un fossé de 1m 10 de profond et 0,80 de large, d’un côté cela ne va pas plus loin, et d’un autre coté c’est par là que j’y rentre. Inutile de te dire que j’y rentre qu’à quatre pattes.

J’y étends mon manteau et par dessus je mets ma couverture. Le lit n’est pas merveilleux mais si ce n’était pas le froid je serai très bien.

Pour toiture il y a des branches de sapin et par dessus ces branches un peu de terre. Puis depuis deux jours il y a 40 centimètres de neige. Il en tombe encore. Tout autour c’est pittoresque. Toutes les branches qui ne sont pas coupées par la mitraille, sont chargées de neige. Mais gare à celui qui les touche, on reçoit une bonne douche de neige. Mêmes il y en a qui par plaisanterie donnent un coup de pied aux arbres lorsque des camarades passent dessous. Tu vois ce que c’est ; assez souvent les balles la font dégringoler en tapant dans les branches.

Depuis quelques jours il n’y a pas eu de fort combat où je suis, c’est assez calme, chacun garde ses positions et on s’observe. On leur a tué plusieurs hommes qui s’étaient approchés à une dizaine de mètres, probablement dans l’intention de nous jeter des bombes. Etant très près de nous, ils n’ont pas beaucoup de chemin à faire. On pourrait facilement s’entendre parler si on causait fort. La distance n’est pas plus grande que de ta porte à la fontaine où tu vas puiser de l’eau.

Comme mon terrier n’a pas deux issues, la nuit je peux allumer une bougie, cela me fait un peu de chaleur, et en plus je m’en sers pour faire chauffer ma soupe et ma viande. Le réchaud n’est pas fort, mais je le trouve bien utile.

On va passer quelques jours là, puis on est relevés par d’autres.

Je crois que tu dois comprendre à peu près comme je suis. On boit très frais. Le 1/4 de vin se gèle dans le bidon. Malgré cela, on s’encourage et on trouve moyen de rire de ses misères.

Hélas, que c’est triste cette guerre.

Quand donc finira-t-elle? Dieu seul le sait. Confions-nous en Lui, Il ne permet jamais que nos épreuves soient au dessus de nos forces. Ainsi je t’avais dit que j’étais enrhumé. Eh bien ! malgré ces inconvénients je ne tousse presque plus. Ne t’alarme pas à mon sujet. Car si je savais que tu le fasses je ne te dirais plus comme je suis. J’espère que tu n’en feras rien, mais que tu seras toujours confiante au Seigneur.

Bientôt peut-être Il viendra dans sa gloire pour nous chercher. Oh! alors quel beau jour que celui-là où abandonnant cette terre de misère nous pourrons le bénir et le louer pendant l’éternité. Ici nous sommes faibles, mais là haut nous aurons atteint la perfection.

J’avais oublié dans ma lettre du 27 de te remercier de ce que tu m’avais copié le beau cantique que je t’avais demandé. Tu-te donnes bien de la peine pour moi. Tu n’as pas besoin de m’écrire bien longuement, je t’excuserai, je sais que tu m’aimes bien. Ton travail t’occupe trop pour que tu consacres de longues heures à m’écrire.

Instruit notre cher Georges du mieux que tu pourras et tache de lui enseigner à aimer le Sauveur et à le servir dès son bas âge. Je demande à Dieu qu’Il t’en donne la force et qu’Il dirige Lui même son jeune coeur vers Lui.

As-tu reçu les photos qui étaient dans la lettre du 27 ainsi que les lettres que tu m’avais envoyées et que je t’ai renvoyées ? Dans cette enveloppe je vais t’en renvoyer une ou deux.

Donne bien le bonjour aux cousins des Bonnets si tu y vas bientôt. Tu me diras la gravité de la blessure de Paul.

Donne aussi le bonjour aux Baudy. A-t-on reçu ma photo et cela leur a-t-elle fait plaisir ? Embrasse tes parents pour moi.

 

Bien des mimis pour toi et Georges en plus beaucoup de caresses.

Ton Reymond.

29 mars 1915

Chérie

Cela fait 4 lettres que je te renvoie. Tu peux voir qu’il y en a deux qui sont numérotées 44 celles du 6 et 7. Elles n’étaient pas dans la même enveloppe. Il y en a une autre que tu avais écrite de Valence qui ne l’était pas du tout.

J’ai compris quand même qu’aucune ne s’est perdue.

Cela me fait de la peine de te les renvoyer, car de temps en temps je les relie, mais cela embarrasse trop ma poche et je ne voudrais pas les brûler..

Tu as eu tant de travail à les écrire.

 

Merci de toute la peine que tu te donnes pour moi.

 

Je t’embrasse bien fort.

Reymond.

 

 

44 e lettre 22 Mars 15

 

Ma chère Emma…

J’ai quitté le village où j’étais et me voilà dans les neiges complètement. Nous couchons dans des baraques en planches. Cela nous préserve un peu du froid. Cependant cette nuit passée j’ai eu un peu froid aux pieds. Nous ne sommes pas encore en première ligne. Le temps est superbe dans la journée, mais la nuit il gèle fortement. On est à plus de mille mètres d’altitude. Je ne suis pas installé assez confortablement pour me servir d’encre, je pense que tu pourras me lire. Tu m’excuseras si je ne t’ai pas écrit plus tôt. Ne languis pas à mon sujet, je ne suis pas trop mal. La dernière lettre que j’ai reçu de toi était datée du 15 Mars et écrite de Valence. Lorsque tu pourras tu me diras des nouvelles de Paul Gourdol. Si sa blessure n’est pas plus grave qu’il dit. Comment il a été blessé. Si c’est par une balle ou un éclat d’obus.

Je suis bien content de ce que tu m’as dit de Georges. Il faudra l’habituer à ne pas dormir.

Tu me dis que l’on a fixé le prix des denrées. Evidemment que ce prix est en dessous de la moyenne, car les autres marchandises ont augmenté dans des proportions plus grandes. Mais hélas, combien voit-on de plus grandes injustices. Ce n’est pas à nous de juger ces faits, si le Seigneur le permet, c’est que cela est nécessaire.

Ne nous mettons pas en souci du lendemain, à chaque jour suffit sa peine. Bénissons le Seigneur des privilèges qu’Il nous a accordés jusqu’à présent.

Je te laisse pour aujourd’hui. Je t’enverrai de mes nouvelles aussi souvent que je pourrai. Ne t’inquiète pas si je restais quelques jours sans t’en envoyer. Cela ne m’est pas commode pour écrire.

 

Je t’embrasse bien fort et t’envoie de tendre caresses

Reymond.

 

 

46e lettre 26/3 15

 

Ma bien aimée,

J’ai reçu ta lettre du 18/3 No. 49. Dans ta dernière lettre datée du 15 Mars il n’y avait pas de numéro. Mais je vois que c’était la 48e; j’ai reçu la 47 et maintenant je reçois 49e. Je ne crois pas qu’il s’en soit perdu.

Le 24 je t’ai écrit qu’une courte carte, je ne l’ai pas numérotée, mais c’est la 45e, aujourd’hui c’est la 46e. Que te dirai-je, le 24 je te disais que je souffrais un peu du froid, mais aujourd’hui quoique je ne sois pas dans la neige, j’en ai souffert toute la nuit. Je suis de nouveau dans les tranchées. Il y a un coin de la tranchée occupée par ma section qui n’est qu’à environ 40 mètres. C’est très ennuyeux ce coin, car ils nous lancent toutes sortes d’engins destructeurs qui si on n’y prenait garde  causeraient de fortes pertes. Dans la journée nous n’avons pas eu de tués. On ne peut dormir, car la fusillade est ininterrompue.

Quoique très près on ne s’aperçoit pas, on est dans de petits sapins. Mais les branches et les troncs sont haches par la mitraille. Malgré le froid, je ne me porte pas mal. Pour comble de malheur nous avons eu la pluie une partie de la nuit, aussi il nous tardait de revoir le soleil. Je ne peux pas te décrire ce que j’ai vu, comme horreur de la guerre. Oh!!! que Dieu y mette fin, afin que toutes ces souffrances se terminent. Bénissons Le en attendant car nous recevons tout de Lui.

Tu as bien fait de payer tous les intérêts. Ceux de Passas tombaient comme je l’avais marqué. As-tu assez d’argent? Tu pourrais m’envoyer un peu de chocolat.

 

Je termine chère Emma en vous embrassant tous du fond de mon coeur.

Reymond.

 

 

50 e lettre 19 Mars           ER  (reçu le 27/3)

Mon époux bien-aimé,

C’est avec plaisir que je viens de te copier le cantique que tu me demandes sur ta carte du 14. Je l’ai reçue ce matin. Comme les miennes te parviennent régulièrement, il ne serait peut-être pas nécessaire que je te répète que j’ai reçu ton mandat et que Mme Fraisse m’a payé. Je t’en parlais hier. Tu vois que pour le moment j’ai plus d’argent qu’il m’en faut pour joindre les deux bouts. Souvent nous nous inquiétons pour savoir ce que nous ferons pour subvenir à nos besoins et nous oublions qu’Il en est un qui ne nous oubliera pas et qu’Il subviendra à tout au moment qu’Il jugera bon. Pour moi souvent, bien que je te l’eus pas dit, je m’étais demandé si j’aurais assez d’argent pour payer les intérêts et les diverses dépenses nécessaires et voilà que Dieu permet qu’il m’en reste. Tu m’en as envoyé bien des fois alors que pour beaucoup d’autres c’est le contraire : ils en demandent. N’est ce pas une bénédiction ajoutée à tant d’autres que je reçois ? (Je ne me suis jamais vue sans argent, tu le sais. Je te disais ce que j’avais et tu peux le croire car c’était bien vrai! Mais tu sais quelquefois l’ennemi ou nos coeurs pensent à un temps lointain et que sais-je  on se met en  souci de bien de choses.)

Je ne voudrais pas que tu te prives pour moi. Tu me demandes si cela me fait plaisir. Certes, il m’a rendu service cet argent et tu peux croire que je ne crois pas le dépenser mal à propos. Je t’envoie mes comptes. Tu sais presque à un centime près ce que tire des denrées et ce que j’achète. Pour m’habiller je ne crois pas avoir acheté pour 3 frs. depuis ton départ, mais je n’en ai pas eu besoin, ne crois pas que j’ai souffert pour ça. Par exemple, lundi j’ai acheté une douzaine d’assiettes à soupe. Elles augmentent, je les ai payées 2 frs. tandis qu’avant la guerre elle m’auraient coûté 1.20. Mais je m’attarde sur ces petits détails et aujourd’hui je ne veux pas t’envoyer 10 pages. Je pensais en commençant ne remplir que celle-ci mais je vois que déjà elle est pleine; il m’en faudra donc prendre une autre. Hier j’ai porté les intérêts d’Elisa. Sous peu, peut-être la semaine prochaine, je porterai ceux des Bonnets. Ces jours-ci Lydie doit être à Montpellier; je voudrais qu’elle fut de retour lorsque j’y irai. Bien que je ne le lui ai pas dit je m’attends à ce qu’elle m’ envoie quelques mots pour me dire comment va Paul. Je comptais, lundi, apporter ceux des pommes de terre, mais le maire les ayant inscrites au nom de mon papa, le percepteur, ce brave employé, m’a pas voulu me donner l’argent. Il m’a dit de faire signer mon papa, après quoi il me payerait. Il y en a pour 88 frs passé. La manière d’agir avec moi m’a rappelé ce que ma cousine Lydie m’avait raconté il y a quelques temps. Il ne voulait pas lui payer à elle non plus le prix de leur cheval. Elle a insisté et il lui a donné l’argent. Elle me disait que chaque fois qu’elle avait à faire chez lui, ils échangeaient quelques paroles un peu raides. Aujourd’hui encore on a passé pour la réquisition. Je n’ai rien à vendre. On demandait du blé et pommes de terre. Il n’y aurait que la Chaille et encore nous ferait-elle faute pour le travail. Pour le moment on ne demande pas de bêtes. Je ne sais comment faire si nous essayons d’en avoir un peu soin avant de la vendre ou si nous attendons encore longtemps.

Mon papa préférait l’engraisser légèrement, il est vrai que telle qu’elle est, elle est bien maigre, plus que les autres je crois, puis la vendre l’été. Moi je calcule qu’il me faut du blé ou son pour les deux porcs que je vais engraisser ( je crois que c’est le meilleur, ils ne seront pas lourds, mais pour leur laisser passer l’ été, ils maigriraient sûrement, ou nous mangeraient trop de blé, et non seulement cela, mais le travail) encore la truie au mois de mai pour sa portée, il m’en faut encore pour la Génisse, la Faïne et la Louvette lorsqu’elles auront leurs veaux.

Par dessus tout ça il nous manque du froment. Je comptais en changer pour du seigle, de meunier n’a pas pu; d’ailleurs qui sait si en fin d’année le seigle ne m’aurait pas manqué? Pourtant je ne crois pas en avoir beaucoup donné à chaque bête.

On enverra peut-être pas des étrangers comme je te disais, c’est à dire qu’on les laissera à l’hôtel. On m’a dit que l’on avait examiné que ces personnes, ayant souffert, ne pouvaient pas recevoir dans les fermes les soins que réclamait leur état.

Cher Reymond, excuse les fautes, je ne relis pas et c’est à la hâte que j’écris. Si je ne suis pas dérangée je me promets de t’écrire très longuement dimanche. En attendant ce moment je t’envoie beaucoup de baisers.

 

Ton épouse bien aimée Emma.

 

 

Aujourd’hui nous n’avons pu faire le trèfle ou avoine – le temps était pluvieux. Nous allons tous assez bien, mon bras me gêne peu maintenant; c’est une des raisons pour lesquelles je t’écris moins longuement, ces jours-ci. Je me lève tard, car je ne suis jamais des plus fortes. Il est souvent 7 heures mais dans la journée, je vais tacher de m’occuper ce que je pourrais, tu comprends que nous avons du travail.

Mes parents t’embrassent et Georges dort.

Tu me demandais un jour si nous avions loué un vacher, je ne sais pas si je t’ai répondu là-dessus, en tout cas je me rappelle t’en avoir parlé autrefois. Je reprends Maurice à 15 frs par mois. Nous lui avions demandé de venir au milieu du mois d’avril je ne sais s’il le fera. Mon papa n’a point acheté de porc pour eux.

 

27 mars 1915

47e lettre     Secteur 97

 Ma bien chère Emma,

J’ai reçu ce matin ton aimable lettre. Je suis bien content lorsque je reçois souvent de tes nouvelles, lors même quelles sont courtes. Tu me dis que tu n’as pas le temps à présent de m’ écrire. Je veux bien le croire, et je crains que tu te forces trop à travailler. Oh! Chérie prends des précautions, car je sais que ta santé est faible. Cela m’a fait languir bien souvent, car je sais que tu te négliges. Tu le vois malgré toutes les épreuves tu as pu joindre les deux bouts. Ils est vrai que l’année prochaine tu ne recevras rien de Rodez. Cette année au mois de mai tu auras à payer l’assurance, puis plus tard les impôts, tu vas avoir besoin de beaucoup d’argent, mais je pense que tu en auras assez. D’ailleurs tant que je serai en vie, je pourrai toujours t’envoyer quelque chose. Cependant il ne faut pas te fier trop sur moi, car on ne sait pas ce qui peut m’arriver. Je peux être tué.

Au moment où je t’écris, le canon tonne et les obus passent en ronflant au dessus de la tranchée. De temps à autre des balles viennent s’aplatir contre le parapet. Tout cela n’est pas encourageant mais, cependant je ne me désespère pas.

Je ne languis pas plus aux tranchées que loin en arrière de la ligne de feu. Je sais que le Seigneur peut me garder aussi bien là qu’ailleurs. J’ai passé la nuit assez bien, je n’ai pas eu froid aux pieds, ce n’est qu’au matin qu’il a gelé fortement.

A présent je suis assis au fond d’une petite hutte creusée dans la terre, où il faut que j’y rentre à quatre pattes. C’est très humide, mais c’est abrité des balles.

A dix heures le temps a changé, et à présent il neige. Cela ne rendra pas le séjour agréable. Les nuits sont longues avec ce temps là. Il me semble que les jours ont 48 heures. Ne languis pas à mon sujet, car je me soigne autant que je peux.

Tu me parles des jeunes porcs. Je crois qu’il vaudrait mieux les engraisser avant les gros travaux. Tu les laisserais dépérir et ils ne profiteraient pas.

Si tu n’as pas assez de blé, tu pourrais acheter de la farine, ou si tu préférais, du blé. Mais cela te viendrait presque aussi cher que d’acheter de la farine et plus d’embarras. Si je te dis cela, ce n’est pas pour aller à l’encontre de ce que tu veux faire. Tu vois ce que tu as de seigle. Il t’en resterait un peu que cela vaudrait que mieux. Surveilles-tu les rats des sacs ? Tu sais que ces petits rongeurs font de la mauvaise besogne. Maintenant que tu as moins de chats, ils doivent trotter.

Pour la chaille, si tu penses faire le travail sans elle, tu pourrais en avoir un peu soin et la vendre, car je crois qu’elle se vendent assez bien, mais il se peut qu’elles se vendent d’avantage dans quelque temps.

Peux-tu me lire en écrivant au crayon? Cela ne m’est pas commode d’écrire avec l’encre. Car d’un moment à l’autre on peut être attaqués et il faut pouvoir riposter immédiatement.

Je te demanderai de me faire un petit plaisir, j’accepterai volontiers à présent que tu m’envoies une saucisse et un peu de chocolat. Car je ne sais pas quand nous irons dans un village. Ici la nourriture est suffisante,mais comme on est obligé de faire cuire les aliments à environ 2 Kil. en arrière, la soupe, la viande, le café sont froids en arrivant aux tranchées.

Cela fait que je n’ai pas trop d’appétit pour tout cela. Je te dis bien de m’envoyer des saucisses, mais j’oubliais de te demander si tu en a suffisamment je ne voudrais pas t’en priver.

Chère petite femme je pense tant souvent à toi. Quand pourrai-je t’embrasser, ainsi que notre cher Georges. Que c’est triste la guerre. Que le Seigneur arrête cette calamité.

Tu donnera le bonjour à tous les amis. Embrasse ton papa et ta maman pour moi.

 

Je te serre contre mon coeur par la pensée et te couvre de baisers.

Ton ami dévoué

 

Reymond.

 

(petit bout de papier ajouté)

Chère Emma

Dans une lettre il me semble que tu me demandais si je ne connaissais pas un jeune homme qui est du coté des Bonnets. Tu me disais qu’il était notre cousin éloigné. Cette parenté venait de ton papa ou maman. Je ne me suis pas rappelé le nom et en ce moment je ne peux le regarder sur la lettre où tu m’en parlais. Penses-tu qu’il soit à Compagnie ou au 64e Bataillon? Si tu y penses dis-le moi.

Je viens d’écrire à la tante des Orges et lui envoie une photo.

Cela fait déjà un bon moment que j’écris, aussi je commence à avoir froid aux doigts et aux pieds. Je vais marcher ou sauter pour me réchauffer. La neige continue à tomber en abondance. Les sapins en sont tout couverts. La nuit ne sera pas agréable sous cette neige.

 

 

lettre 47  27/3  : carte postale : photographie, 3 militaires dans la neige

 

Chère Emma,

Je t’envoie cette photo qui représente au centre mon capitaine, à droite un lieutenant de ma Cie. C’est lui qui m’a fait cadeau de cette photo. A gauche c’est le lieutenant payeur de Bon. C’est lui qui va toucher l’argent destiné à payer tous les hommes et gradés.

As-tu reçu celle que je t’ai envoyée? Je pense que oui.

Adieu ma chérie, mille affecteuses caresses de ton

Reymond.

 Chasseurs Alpins sous les arbres hiver 

 

lettre 47 27/3: carte postale: photographie, 3 militaires

 

Ma chérie…

Ces cartes ne partiront que demain car on a déjà passé pour ramasser les lettres. Je vais finir la journée en pensant à toi. Je te souhaite que tu guérisse vite. Pour moi je suis en assez bonne santé. Je suis seulement un peu enrhumé.

Reçois de bien gros mimis de celui qui t’aime beaucoup – beaucoup.

Reymond.

 Chasseurs Alpins molle et 2 compagnons

Au milieu: Reymond Molle

A gauche: ?? Benoit, sergent

A droite: ?? Reynal, sergent

19 mars 1915

43e lettre   suite Carte Postale (3)

Les sous officiers de la Compagnie, 64e Bataillon de Chasseurs à pied.

Bonne amitiés

Douces caresses

Reymond

Sur un autre photo, mais un peu différent du même sujet il est écrit:

Souvenir du 28/2 1915 Le Thillot (Vosges) 19/31915 Expédié de la Bresse

 Chasseurs Alpins groupe 

15 mars 1915 Valence lettre ER

 

Mon époux bien-aimé

 

Hier je n’ai pu t’écrire quelques mots et pourtant il me ferait de peine de repartir d’ici sans te laisser une lettre. Je suis allée à la réunion avec Georges. Je lui avais beaucoup recommandé d’être sage, ce qu’il a fait. Il n’a pas remué, chanté ou fait de bruit, jusqu’à ce qu’il s’est endormi.

On a lu le chapitre 4 de la seconde aux Corinthiens. A la sortie je suis rentrée chez Mme Pourret. Elle me faisait dire d’aller chez elle sans manquer. Elle voulait me faire demander aujourd’hui au cas où je viendrais aujourd’hui à Valence à Mme Durand, si la chose m’était possible si Mr. Durand avait écrit depuis peu. Eux ne reçoivent pas souvent de nouvelles et ils sont bien inquiets. Je crois que les dernières nouvelles étaient datées du 1er février. (Nellie n’en reçoit pas davantage, m’a-t-elle dit, mais elle est plus calme que la mère Pourret.) Je continue l’emploi de mon temps hier.

De retour à la maison Eva du Tracoulet est venue passer une partie de l’après midi avec nous, puis le soir au moment où je croyais écrire, Fraisse de Leyrisse est venu nous dire au revoir. Il part ce soir pour Nice et il a eu la bonne attention de venir nous voir avant de partir. Il est resté jusqu’à 10 h. passées. et il m’a beaucoup invitée de visiter sa femme. Comme c’est triste de voir se vider la campagne d’une telle façon. La marchandise augmentait, mais de nouveau on fixe les prix. Ainsi le beurre était fixé 1,50. Doit-on approuver cela ? Je ne sais. Pour le pain, oui, je serais de cet avis, mais pour le reste…

Tout ce que nous achetons nous le payons bien plus qu’autrefois, la main d’oeuvre aussi, par conséquent on devrait vendre davantage les produits. Hélas! si la guerre dure bien plus qui sait si elle n’amènera pas d’autres troubles. Que Dieu arrête ce fléau, si telle est sa volonté.

J’ai tiré 20 frs passé.

J’ai rencontré mes deux cousines Lydie et Emma des Bonnets. Elie Chirol était fatigué et Paul est blessé depuis 8 jours. Il est à Montpellier. Lydie ira le voir dans le courant de la semaine. Il lui dit que sa blessure n’est pas grave à l’épaule.

Mon chéri, tu excuseras les fautes – je t’écrirai sous peu plus longuement si je peux. J’écris dans la librairie où j’ai pris ce papier. J’ai demandé un petit livre pour Georges, mais on en trouve pas qui me plaise.

Adieu, mon bien aimé.

Le monsieur de cette librairie est mort à la guerre. Il faut bien encore que je te remercie pour ta bonne et longue lettre du 9. Elle m’a causé un réel plaisir comme toutes d’ailleurs, mais particulièrement celle-ci pour tous les détails que tu me donnes.

 

De bons et gros baisers de ton Emma.

 

Je ne relis pas. Delarbre était ce matin à Fringuet. Il t’envoie bien le bonjour.

 

18 mars 1915

42e lettre     

 

Ma chère Emma,

Je viens de recevoir ta longue lettre No 47 du 11 Mars. Je ne crois pas qu’il s’en soit perdu. Le nombre est exact ce n’est que les numéros qui ne sont pas exacts. Je t’avais déjà dit que deux de tes lettres était numérotées 44, j’ai ensuite reçu 45 et maintenant 47, cela fait que c’est exact comme nombre.

Comme ta lettre est intéressante, mais avant de terminer j’ai eu crainte que ma 35e lettre se fut perdue. Heureusement qu’à la fin j’ai vu que  tu l’avais reçue. Il te faut rappeler au facteur que tu préfères qu’il te garde les lettres un jour de plus, plutôt que de les donner aux voisins d’en haut. On connait trop leur façon d’agir. Un jour je voulais te parler de faire attention pour le bois qui est à l’étable de Jacques ou de ce côté. Lorsque j’étais là bas je m’étais  aperçu que l’on y avais puisé, et même j’en avais vu une personne. Je ne me souviens pas si je te l’avais dit à ce moment là.

Aujourd’hui je suis bien content de pouvoir t’envoyer ma photo. Le plus grand groupe représente tous les sous officiers de la Compagnie. Le groupe où nous ne sommes que trois, ce sont mes deux sergents qui me secondent dans le commandement de ma section. Ils sont tous les deux originaires de la Lozère. Ils habitent tous les deux à Paris. Celui de gauche est employé au chemin de fer de l’Ouest.

Il est facteur de 1e classe. Ce qu’était M. Jouve avant d’aller à Livron. Le second n’est pas marié et travaille à Paris chez un marchand de charbon. C’est le plus gentil des deux. Il est bon camarade et plus obéissant. Le second est aussi bien gentil, mais aime beaucoup à discuter et moins poli dans ses conversations. Celui qui est à ma gauche dans le groupe de 3 s’appelle Benoit. C’est celui qui aime à discuter. Celui de droite s’appelle Reynal.

Es-tu contente que je me sois fait photographier? Je voulais en avoir de tout seul, mais je trouvais cela un peu cher. Ces cartes coûtent 0,45 pièce. J’en ai une plus grande qui coûte 1,50. Je ne sais pas si je te l’enverrai aujourd’hui.

Je te suis bien reconnaissant de ce que tu m’as donné autant de renseignements sur le travail. Tout ces petits renseignements me font bien plaisir. Je voudrais toujours avoir ce privilège. Mais je n’ai pas à me plaindre. Grâce à Dieu je reçois bien souvent de tes nouvelles.

Oui chérie, nous avons bien des motifs pour bénir le Seigneur. Ainsi que tu me l’as dit c’est bien Lui qui a permis que tu puisses nouer les deux bouts. Que ferions-nous si tu ne pouvais pas arriver, n’aurions-nous pas plus de soucis?

Oh! n’oublions pas que c’est Lui qui subvient à tous nos besoins. Il sait, avant même qu’on le Lui demande, ce dont nous avons besoin.

Chère Emma, je ne pourrai pas expédier ta lettre aujourd’hui car il est 4 h30 et ici les lettres partent à 4 h. Ce ne sera donc que le 19 qu’elle partira. Je ne pourrai même pas terminer sans m’arrêter.

J’ai envie d’envoyer une de ces photo aux Baudy, penses-tu que cela leur fera plaisir?

Ils la recevront en même temps que toi.

J’en enverrai une à la tante des Orges, à mes soeurs et mon frère. J’en ai six du grand groupe et 6 des autres, plus la grande.

Tu me dis que le blé commence à s’épuiser, tu ferais bien de l’économiser, mais je vois que tu hésites à avoir moins de porcs. Que de travail tu vas avoir dans l’été. Cela me donne du souci pour ta santé, même cela m’inquiète.

Ne pourrais-tu pas faire autrement?

Et du foin penses-tu qu’il t’en reste pour l’année prochaine?

Mais c’est trop se mettre en souci, je laisse donc cela et te vais parler un peu des habitudes de pays. On ne voit presque rien comme culture. Leur principal revenu c’est le foin et l’élevage des bêtes à cornes.

Je suis obligé de cesser au plus vite, je peux encore la faire partir aujourd’hui.

 

Je t’embrasse bien vite mais bien tendrement.

Ton époux chéri

Reymond

 

Le vaguemestre m’attend.

 

17 mars 1915

41e lettre     Secteur 141

 

Ma bien aimée.

Tout à l’heure j’écrirai sur un côté libre d’une de tes cartes, maintenant que j’ai un moment je continue  à causer avec toi. Je viens de recevoir ta lettre no 45 du 9 Mars. Tu as dû voir sur l’enveloppe de celle de hier que j’avais changé une fois encore de secteur postal. C’est à présent No. 97. Je crois que sous peu  nous changerons encore.

Tu me dis dans ta lettre que Cros est tombé malade et qu’il a été évacué. Je ne l’ai pas vu, quoique je sois été dans les mêmes parages. J’ai passé même à coté où ils étaient logés. Tu dois trouver un peu drôle que l’on ne puisse pas se voir en passant ainsi tout près. C’est bien simple, lorsqu’on marche on ne peut pas s’arrêter individuellement, il faut rester ensemble. Si non, si chacun restait où il lui semblerait bon, ce serait une débandade.

Tu me dis que tu es plus causeuse que moi, certes tu l’es plus, mais aussi tu peux voir qu’il t’est plus facile d’ écrire et beaucoup plus de choses intéressantes pour moi à me dire.

Tu me parles du travail, des amis que tu vois et que je connais. Puis tu es libre de me dire ce que tu veux. Tandis que moi je ne peux pas te dire tout ce que je vois, car si mes lettres étaient ouvertes elles pourraient être confisquées et en plus m’attirer des ennuis. Je voudrais bien t’envoyer de longues lettres, mais bien souvent je n’ai pas le temps et puis je fais comme toi, en commençant il  me semble que je vais écrire longuement et puis j’oublie ce que je voulais te dire. Au commencement de la lettre je te disais que nous avons changé de secteur, mais je crois que ce n’est pas très exact. Il y a une autre Bataillon dans le même village et eux ils ont toujours le No. 141. Je crois que jusqu’à ce que je te le dise tu n’as pas à changer de No.

Avant de terminer et fermer ma lettre si je le sais de sûr je le mettrai sur la lettre ou l’enveloppe. En tout cas que ce soit un Bataillon ou l’autre les lettres me parviendront toujours pourvu qu’il y ait le No. du Bataillon.

Tous ces jours-ci il a fait un temps magnifique, mais la neige ne fond pas sur les hauteurs. Cependant nous ne souffrons pas du froid.

C’est une grande bénédiction pour nous et pour les familles de savoir que l’on ne souffre pas trop.

J’ai crainte par ce que tu me dis que tu sois plus malade que tu ne me le dis. Pourquoi ne consultes-tu pas un médecin. Tu me ferais plaisir. Soigne-toi bien et tiens toi le plus possible au chaud. Je languirais trop si je te savais bien malade.

Tu me dis que tu auras peut-être des réfugiés. C’est bien de pouvoir en prendre, il faut faire part de son bien être à ceux qui sont dans le besoin. C’est une chose agréable au Seigneur. Mais cependant tu auras besoin de te méfier surtout au début. Car on ne sait pas à quel genre de personne tu peux avoir à faire. Surtout pour ce que vous pouvez dire en causant. Je me rappelle la brochure dont tu me parles, que nous avait donné Gaillard.

Tu ne saurais croire combien j’aurais plaisir d’avoir ta photographie et celle de Georges, mais cela te ferait peut-être beaucoup de dérangement.

Chère amie, me voilà pour la troisième fois à continuer ma lettre, et à présent je n’ai que demi heure à consacrer à toi. Ainsi tu dois t’en apercevoir mes pensées sont un peu décousues.

Je t’envoie dans cette lettre quelques-unes de tes aimables lettres. Je pense qu’elles te parviendront. Dans une autre lettre je t’enverrai des vues du pays, tu pourra juger de l’aspect. J’y joins la carte que Courret m’a envoyé.

Donne le bonjour à sa famille de ma part, ainsi qu’à tous les amis.

Je t’embrasse bien fort par la pensée en attendant s’il plait à Dieu de le faire en personne, et t’envoie bien de douces caresses.

 

Ton mari affectionné qui pense tant à toi

Reymond.

carte postale militaire 17/3 15 

 

Chère Emma.

Je t’ai envoyé hier dans une lettre portant sur l’enveloppe le No. 40 j’avais oublié de le mettre à l’intérieur. Aujourd’hui cela fait la 41e, je ne t’écrirai pas bien long maintenant. Si je peux je l’allongerai avant de fermer l’enveloppe. N’a-t-on jamais ouvert de mes lettres? On le reconnaît facilement. On les coupe puis on les referme avec du papier-colle. Aucune des tiennes n’a été ouverte. Il est bon que te mettes toujours ton adresse à l’extérieur de l’enveloppe.

Aujourd’hui je t’envoie toutes celles que j’ai reçues, moins la dernière.

 00000001

Ton affectionné

Reymond.

 à l’intérieur une lettre de Emma Molle No. 43 datée le 2 mars 1915

11 mars 1915 Bergerons 47e lettre ER reçue le 18/3

 

Mon époux chéri,

 

Avant de me coucher je suis heureuse de venir causer quelques instants avec toi. Je ne resterai  pas longtemps, j’aurais froid, car j’ai quitté mon corsage. J’ étais partie pour aller dormir puis j’ai vu qu’il n’était pas tard ; ensuite je n’ai pas sommeil et je me mets à écrire un moment.

Hier j’ai porté une à Fringuet que j’ai numérotée 45e. J’ai fait erreur c’était la 46e. Donc aujourd’hui nous en sommes à la 47e. Je ne sais ce que fait le tramway ces jours-ci; il n’est pas régulier, je l’entends maintenant; il doit monter et n’a que 3 h. de retard…. Avant-hier il a passé la nuit à Fringuet. Je n’ai pas pensé de demander à Mme Pommaret pourquoi. Peut-être avait-il déraillé, je n’en sais rien. Mme Charlon était un peu fatiguée, je suis rentrée chez elle; elle m’a donné du chocolat qui m’a-t-elle dit, était depuis quelques jours destiné à Georges. Elle n’attendait qu’une occasion favorable pour le lui envoyer. Je devrais la récompenser un peu, c’est plusieurs fois qu’elle a agi ainsi et moi je ne lui porte rien. Certes, elle ne l’exige pas j’en suis sûre, ce n’est que par affection pour moi qu’elle fait cela.

Aujourd’hui j’ai eu la joie de recevoir ta 36e lettre datée du 7. Elle n’aurait mis que 4 jours. Cela m’était arrivé à la seconde que tu m’envoyais depuis que tu es dans l’est. Elles mettent plus souvent 7 ou 8 jours que 4 ou même 5. En revanche ton No 35 n’est pas arrivé. Sera-t-il perdu ou l’aurai-je plus tard, je me le demande. En voyant la date et le numéro de celle-ci j’avais peur qu’au 35 tu y ais un mandat ou ta photo, mais j’ai vite été rassurée du moins pour ton mandat. Quant à ta photo tu ne m’en parles pas, mais j’aime à penser que tu ne me l’as pas encore envoyée. Je regretterais bien si elle se perdait en route. Ce sont nos bons voisins qui  me l’ont donnée et je puis te dire que je n’ étais pas trop contente du facteur. Que cela ne se renouvelle pas de sitôt, s’il veut, car je ne le supporterais pas 3 fois sans le lui dire. Il peut les donner quelque fois à l’oncle Eugène lorsqu’il va chercher son pain le matin, je les ai même de cette façon quelques heures avant, mais pas aux autres. J’espère qu’il ne le fera plus; il ne le faisait pas d’habitude.

Tout à l’heure je surveillais le chat qui se faisait la barbe et je me disais que c’était pour fêter l’arrivée d’une de tes chères lettres demain. Sauf que la 35ème arrive je n’en attends pas d’autres de quelques jours cette fois-ci.

Tiens, mon chéri je vais te laisser jusqu’à demain s’il plaît à Dieu, je vais me coucher. Peut-être te verrai-je dans quelque rêve; cela m’arrive quelquefois. Un jour, il n’y a pas longtemps je partais pour aller te voir lorsque je me suis réveillée. Bonne nuit, je t’embrasse bien fort par la pensée en attendant de le faire en réalité si Dieu nous le permet.

 

Vendredi 12

Je continue ma causerie, mais que te dirais-je, je ne le sais trop. Crois-tu que nous devions sous peu rester 40 jours sans pouvoir nous écrire ?

Ici on l’a dit bien des fois, mais on ne parlait que d’un mois. On avait même fixé la date, si cela avait été vrai nous traverserions maintenant cette période. On avait même dit que c’était affiché à Valence et Saint-Péray. Un jour je l’ai demandé à Mr Fournier tailleur à Alboussière. Mon papa lui a fait faire une paire de pantalons de velours. De passage à la route il les lui a apportés. En passant je te dirai que le prix des velours a aussi augmenté passablement.

Donc, Mr. Fournier, m’a dit que ce n’était certainement pas officiel; il ne croyait pas qu’on l’affiche à Valence sans le publier en même temps à Alboussière. Il faut espérer que cela ne sera pas. Tu me dis que tu languirais de ne rien recevoir de moi; on disait que les familles pourraient écrire aux militaires ce ne serait qu’ici que l’on ne recevrait rien. Crois tu que moi je ne languirais pas doublement. Tu cours de plus grands dangers que moi. A vues humaines ta vie est plus exposée que la mienne. Je serais par conséquent bien ennuyée si je restais longtemps sans nouvelles.

As-tu reçu le colis que nous t’avons envoyé le 3 mars avec Emma? C’est elle qui a payé le port. Moi je n’y ai mis que le petit morceau de beurre. Je regrettais bien ne pouvoir y mettre de la confiture de figues que j’avait faite exprès, mais le jus, même qu’il me semblait ne point y en avoir mis, se répandait à travers le couvercle de la petite boite dans laquelle je les avais mises. J’ai pensé plusieurs fois envoyer une petite provision à Isaac. Peut-être ne m’approuverais-tu pas? Il a demandé plusieurs fois à ses parents de l’argent ou autre chose. Je ne lui enverrai qu’un kilogramme . Par la poste on ne peut en mettre davantage. C’est plus cher que par chemin de fer mais ça va plus vite. Il n’y a pas longtemps qu’il m’a envoyé une carte sur laquelle il me disait qu’ils venaient de recevoir un bonne distribution…

Je ne lui ai rien répondu encore. Je lui avait écrit une lettre il y a environ 1 mois qui ne doit pas lui être parvenue car il ne la mentionne pas. Il me dit qu’il va t’écrire sous peu.

Tu me demandes si nous avons fait du blé à tout le trèfle. Mon papa a laissé seulement celui de la terre de Jacques, il veut y faire des pommes de terre. Moi je ne commande pas ces sortes de travaux, mon papa s’y entend mieux que moi, tu comprends?Aux préaux il va y faire de l’avoine et du trèfle ; il l’aurait semé cette semaine si le temps avait été beau ; c’est labouré. J’ai acheté pour 9 frs de graines de trèfle et dire que nous n’ayons pu faire trier la nôtre. Pourvu que les rats ne la dévorent pas; elle est en meule près des choux ou du trèfle. Mon porte-monnaie s’est vidé ces temps-ci. J’ai payé les intérêts de Passas, de Trappier et de Chapelle de St. Loup. La semaine passée pour faire boucherie cela m’a occasionné quelques dépenses. Je ne l’ai pas fait faire à Barbier. Il prend 1,50 pour tuer ; et pour boudiner on m’a dit qu’il prenait 5 frs. Je ne lui en ai pas parlé; la veille je suis aller le dire à l’ Henriette du Tracoulet elle l’offre assez souvent et nous a aidé pour une chose ou l’autre quelques journées. Je savais que je ne pouvais pas tripoter ça, vu mon abcès au doigt et ma mouche qui rendait mon bras très engourdi. Tout va mieux maintenant, je me suis bien reposée quelques jours, j’espère pouvoir reprendre mes occupations comme d’habitude. Peut-être irai-je à Valence lundi, maman y est allée 2 fois.  La dernière fois il m’aurait fait de peine de tenir mon panier de ce bras une demi-journée. Cette semaine Viauja nous a aidés, cela fait aujourd’hui 4 jours, l’oncle Eugène 3. S’ils viennent demain il me faudra puiser dans la grosse bourse. J’ai presque tout dépensé mes économies des marchés. C’est que tu sais ils ne sont pas bien gros mes marchés ! Et le prix de revient des journées est très élevé. Viauja prend 2 fr. je ne sais pas si l’oncle les augmentera. Il ne nous avait pas aidé ce mois-ci que je sache. Je suis heureuse néanmoins de les trouver. Impossible à mon papa d’y arriver à tout faire s’il était seul. Ces jours-ci ils me font de bonnes bûches ; s’il avait fait beau, que le sol n’eut pas été gelé ils n’auraient pas travaillé là. Hier et aujourd’hui la température se radoucit, le vent s’est calmé (figure-toi qu’il avait tombé le pallier, bien qu’il fut appuyé). On l’a refait hier. Les Baudy ont le leur depuis au moins 4 mois étendu sur l’aire. Vu la pluie ils ne peuvent jamais le sécher complètement pour le refaire. Donc ces jours-ci hier, aujourd’hui mon papa et l’oncle, charrient le châtaigner qu’ils ont tombé, quelques chênes mort de Montchastel, le bois que mon papa  avait dans les champs de Bellin, pendant que Viauja le fend. Le temps leur profite passablement de cette façon. Je vais de nouveau faire cuire du trèfle pour les vaches. Avec le travail je ne voudrais pas leur laisser perdre tout leur lait, le beurre est trop cher. Maman, l’a pendu 1,65 ou 1,70 la dernière fois qu’elle le portait. J’en avais 5 livres dans 10 jours! Cette fois-ci j’en aurai un peu plus, je n’en donne plus à la Génisse. J’espère avoir sous peu un veau de la Faïne; la Louvette vient je crois vers la fin mai, mais j’ai perdu le carnet sur lequel je le notais. Je ne sais où je l’ai mis.

Quand aux porcs, nous en avons 3, la truie, les 2 nés au mois d’août. Je pensais engraisser la truie si elle n’avait pas fait de petits et en acheter une jeune. Mes parents me conseillaient de la remplacer ainsi et d’avoir vite soin de la grosse, afin que l’été au moment des travaux nous ne l’ayons pas. Il nous en aurait resté encore 3 et peut-être mes parents en achèteront un petit pour eux ce qui aurait fait 4. Nous croyons maintenant qu’elle en fera, donc ne pensons pas à l’engraisser pour le moment, ni à en acheter d’autres tant que nous ne sommes pas fixés. Reste les deux jeunes. Ils sont beaux, un surtout pour des porcs d’hiver. J’ai presque envie de les engraisser. Mon papa me dit qu’ils ne feront pas de poids, ce qui est certain. Mais j’examine que si dans le courant Mai il nous en naît de petits, nous en serons puis bien chargés, vu le peu de monde que nous allons être et la cherté de la main-d’oeuvre si la guerre n’est pas terminée. Bien sûr si je ne les engraissais pas, il serait dommage de continuer à leur donner autant de blé. D’ici l’hiver ils auraient le temps de grandir sans cela maintenant. Le blé s’en va. Considère, nous en avons engraissé 4 ; les 2 grosses en ont bien mangé pour rapporter si peu. Il en faut à la Génisse. Une poignée ne ferait pas mal non plus à la Rouge mais elle s’en passe, il en faudra encore aux autres vaches lorsqu’elles auront leurs veaux, à la truie. Il m’en faut faire changer un peu pour du froment pour moudre pour nous. J’espère cependant en avoir assez, mais on peut bien calculer à l’avance. Puisque je suis à te parler des bêtes je te dirai que la Miraille  est presque crevée. Je voulais la faire tuer à Barbier puis je n’en ai pas eu le courage; tu me trouveras bien sotte j’en suis sûre mais, que veux tu? c’est pourtant la vérité. La semaine passée aussi j’ai eu la perte de 3 petits chevreaux nés avant terme. Il parait qu’ils sont tout à fait bon marché ce n’est pas une viande qui se conserve.

Ne languis pas à mon sujet. Tu peux croire que je ne suis pas malade. Ce que j’ai est insignifiant. A cet instant je reçois ta carte-lettre 35e et une autre datée du 8 où je vois que tu as reçu ton colis. Je m’arrêterai donc pour donner celle-ci au facteur. Georges est en bonne santé. Il s’amuse de bon coeur. Il commence à connaître déjà quelques lettres et il est très attentif à ses petites leçons.

Je t’embrasse bien et bien des fois. Je comptais te causer encore un moment mais puisque le facteur attend je te laisse.

De bon baisers de ton épouse chérie,

Emma

16 mars 1915

40e lettre                   Secteur postal 97

Ma chère Emma,

Nous voilà de nouveau en France. Nous avons repassé la frontière ce matin. Partout ce n’est que  neige. La route était une véritable glace du coté de la montagne faisant face au Nord. Cela rendait la marche difficile.

Hier nous avions changé aussi de cantonnement et nous étions logés dans une usine de tissage. En ce moment elle est abandonnée. J’ai pu admirer avec quel soin c’était installé, surtout pour le bien-être des ouvriers. Il y a, pour tenir ou chauffer leur repas, de grandes plaques de fonte chauffées à la vapeur. Les appartements où sont les métiers sont chauffés de même. Il y a aussi des bains douches. Dans les villages j’ai aussi remarqué qu’ils ont beaucoup fait pour la commodité de l’eau. Ils ont fait des bassins de partout, c’est à dire que dans la rue principale il y en a assez pour que chaque famille puisse laver. Ainsi que tu le vois je t’envoie une carte qui n’est pas française. Deutsches signifie allemand. Le patron de la maison où je suis resté environ 15 jours a voulu me la donner à tout prix pour souvenir. Je ne crois pas que tu puisses comprendre l’écriture. Je n’en connais que quelques mots. J’ai marqué d’une + la maison ou j’étais. En bas et à gauche était logée une partie de ma section.

 

Je t’embrasse bien tendrement.

Reymond.

 

Chère petite femme…

Je continue à causer encore un moment avec toi. Que ne puis-je le faire de vive voix. Que de choses j’aurais à te raconter. Je crois que tu t’ennuierais à force de te bavarder.

Dans le village où je viens d’arriver et qui n’est qu’à quelques Kilomètres de la frontière, je suis logé chez des bons vieux qui m’ont aussitôt offert un lit. Partout dans ces contrées on ne peut que faire des éloges des gens. Tu vois que tu n’as pas à te faire du souci pour moi. Cependant je languis beaucoup de recevoir de tes nouvelles. Il y a bien longtemps que je n’ai rien reçu de toi, environ 5 à 6 jours. Es-tu malade, car je sais que les lettres ne se perdent pas. Es-tu fâchée chérie, ou es-tu découragée.

Il est vrai que je suis bien exigeant, je voudrais recevoir trop souvent des lettres. Malgré que je te dise cela, il ne faut pas pour cela te fatiguer à écrire. Je vais mettre dans cette enveloppe une ou deux lettres de tes plus anciennes. Je pense que tout te parviendra. Si j’ai le temps et s’il plait à Dieu demain je t’écrirai de nouveau. Donne le bonjour à tous les amis, embrasse tes parents.

Excuse moi si je ne t’écris pas plus longuement.

 

Adieu chérie, que Dieu te bénisse et te garde, je t’embrasse bien tendrement sur les deux joues.

Ton époux

Reymond

 

P.S. Embrasse bien fort notre petit Georges.

 

13 mars 1915

12 heures

Chère Emma

Hier je ne savais pas si je pourrais t’envoyer le mandat. Je viens de le recevoir donc tu l’auras par cette lettre. Lorsque tu l’auras reçu dis-le-moi.

As-tu reçu le colis que je t’ai envoyé dernièrement et qui contenait le cache-nez que tu m’avais envoyé et une paire de gants? Je pense que oui.

Adieu chérie, à bientôt de tes nouvelles.

Je tacherai de rester moins longtemps à t’écrire, car cette fois-ci tu devais bien languir.

 

Je t’envoie bien des caresses.

Reymond.

6 mars 1915 reçue le 12/3

Bergerons 44e lettre    ER    reçue le 12/3

 

Mon bien aimé

Tu dois commencer à croire que je t’oublie, car je ne t’ai rien envoyé depuis le 2 mars. Il n’en est pourtant rien, cher et bien-aimé, mais je suis négligente et puis de voir que l’on te change si souvent de secteur cela me donne parfois l’idée que peut-être mes lettres ne te parviendront pas. Dernièrement je t’en ai envoyé plusieurs très longues; les auras-tu reçues? Bien qu’il n’y ait rien de particulier, je ne me rappelle pas ce que je te racontais, je regretterais si elles se perdaient.

Hier nous avons tué le porc. Aujourd’hui je reçois une aimable carte de Mme Broc de Chabeuil et j’en profite pour te tracer ces quelques mots, le facteur attend. Donc je ne serai pas plus longue. Tu ne m’en voudras pas n’est ce pas? Tu peux croire que je t’aime bien et pense beaucoup à toi. Je me reproche de ne pas t’avoir écrit plus longuement ces jours derniers.

 

Je t’embrasse bien

Emma.

 

J’ai reçu ton colis et une lettre avec, datée du 26

 

Je crois savoir à peu près où tu es. Jeudi passé j’étais à la Pine à la réunion, j’ai causé avec Mr. Cros le chef cantonnier. Il est au même secteur et avait dit à sa femme il y a quelque temps exactement où il était. Tu me diras si vous vous rencontrez. Il y a encore le frère ou le beau-frère, je ne sais plus bien de la femme du meunier de Monepiat, qui a écrit qu’il avait Molle pour adjudant. Le connais-tu? La femme du meunier disait à mon papa que je t’en parle afin qu’au cas où il y aurait quelque chose s’il était possible, elle aimerait bien que tu les préviennes.

Encore un adieu de ton épouse chérie

 

Emma

7 mars 1915 Bergerons 44e lettre   ER   reçue le 12/3

 Cher et bien aimé Reymond.

Il est 1 heure 30, je viens de m’habiller pour aller à la réunion de l’après-midi et avant de partir je te trace vite ces quelques mots. J’avais pensé mener Georges, mais le temps étant couvert, je crains la pluie, je ne le mènerai donc pas, d’ailleurs, le pauvre petit serait peut-être sot. Il n’a guère envie de venir, parce que je lui ai promis de le fouetter au cas où il ferait du bruit. Il sait que mes menaces se réalisent quelquefois, aussi vient-il de me dire qu’il viendra demain. Lorsque il fera bien jour. Je pense qu’il veut parler de la lumière du soleil, parce que aujourd’hui on ne le voit guère. Il était à la porte sous le hangar lorsque j’ai commencé ta lettre et déjà il n’y est plus. Il doit être chez l’oncle Eugène; c’est plusieurs fois par jour qu’ils ont sa visite; ma tante doit probablement lui donner quelque chose pour l’attirer, car souvent il pleure lorsque je vais le chercher. Souvent il m’en demande la permission. De peur d’un refus il ajoute: je resterai guère, je ferai pas batailler la tante. Les jours où il n’y a pas classe, il joue quelques heures avec Fanny. Je lui ai cherché un des premiers petits livres de sa maman qui est bien endommagé, néanmoins je commence à lui faire répéter ‘A’, ‘I’, ‘O’, et ainsi de suite. Il a l’air d’y mettre toute son attention.

 

Mon chéri, je n’ai rien reçu de toi depuis le 4 où j’ai eu une lettre et ton colis, cela ne fait que 3 jours, peut-être aujourd’hui mes parents m’apporteront-ils une lettre à leur retour. Eva du Tracoulet en reçoit une d’Elie environ tous les 15 jours. Ne sachant pas écrire il ne peut lui faire parvenir de ses nouvelles que rarement. Elle s’y est habituée et elle les attend patiemment. Pour moi, si je restais 15 jours je languirais énormément. Jusqu’à maintenant je n’ai pas eu cet ennui, grâce à Dieu.

Le porc que nous avons tué n’était pas très gros. Il mangeait peu aussi le lard n’est pas large. Je crois que la truie en fera heureusement; ils sont très chers, paraît-il. N’étant pas entièrement fixée je n’ose pas l’engraisser. Les gras sont également chers ils valent de 60 à 70 frs. Mon papa me conseillait de l’engraisser le plus vite possible au cas où elle ne ferait pas de petits. Je souhaiterais qu’elle en fit car on en trouvera que difficilement pour se remonter. Je dis je souhaiterais car tout dépend comment les choses tourneront. Les jeunes sont toujours beaux. Je crois qu’il vaut mieux que je continue d’en avoir soin et les vendre dès que je le pourrais. Cela éviterait du travail, tant pis s’ils ne sont pas lourds; le bois aussi pour s’en procurer revient très cher. J’ai eu cette semaine 2 jours Viouja; ? il m’a pris 2 frs. Il fait assez beau.

Nous avons rentré un fenil, Marcel du Bâtiment pour aider à le rentrer.

Je me hâte, c’est l’heure de partir. Mes parents sont de retour et me remettent ta carte du 27 No 33 et une lettre de la tante des Orges écrite aux Bonnets, Lydie y a ajouté quelques mots. Tous te saluent. Paul est de nouveau dans les tranchées ou sur le point d’y aller. La tante me dit que les vieux Grandouiller retourneront aux Orges après le 25 mars.

J’envoie cette après-midi mon papa porter les intérêts de Mr. Fassas.

 

De bons et affectueux baisers de celle qui t’aime

Emma.

 

38 e lettre 12 mars 1915

 

Ma bien chère Emma

 

J’ai reçu tes deux lettres datées l’une du 6 et l’autre du 7 Mars. Elles étaient numérotées toutes les deux 44 ème. Il aurait pu s’en perdre une que je ne m’en serais pas aperçu. C’est un petit oubli que tu as fait. Cela n’est pas difficile car je vois que ces deux lettres ont été écrites rapidement. Je suis bien content de ces deux lettres, il y avait deux ou trois jours que je n’avais rien reçu, aussi sont-elles bienvenues.

Tu m’excuseras si j’ai resté 3 jours sans t’écrire. Je voulais t’envoyer un mandat, je ne sais pas si je pourrai te l’envoyer dans cette lettre car j’ai bien donné les 50 fr, mais le vaguemestre ne m’a pas apporté le mandat. Peut-être l’aurai-je avant d’expédier la lettre. En tout cas ce sera dans une autre lettre.

Je suis heureux que mon colis du 27/2 te soit parvenu, tes lettres ne seront pas perdues. Si nous avons le bonheur de nous revoir, ce sera un souvenir de pouvoir les relire ensemble. Tu crains que tes lettres ne me parviennent pas, à cause de ce changement de secteur, mais je crois qu’elles m’arrivent la même chose, puisque aucune ne s’est perdue.

Tu me demandais si je connaissais le beau frère de Mme Lerisset. C’est le frère du meunier, tu ne te trompais pas. Je le connais, car il est à ma Compagnie. Tu peux dire à Mme Lerisset que s’il lui arrivait quelque chose je le lui ferais savoir; elle n’a qu’à m’écrire. Vois-tu de temps à autre Mme Pourret ? Les nouvelles de Raoul sont-elles bonnes ?

Quant à Cros, je ne l’ai pas vu. J’ai vu un camarade de son Bataillon que tu connais aussi, c’est M. Dulac de St. Péray, le fabricant de bouchons. La Compagnie où est Cros est plus loin et je n’ai pu le voir.

Dans ta deuxième lettre tu  me dis que tu n’as pas conduit Georges à la Réunion. Je vois qu’il doit faire un peu trop ce qu’il veut. Il faudrait dès son bas âge lui apprendre à obéir à ses parents. Mais je sais aussi que les mamans sont toujours plus faibles pour leur enfant. Cependant ce serait lui rendre service que de l’apprendre à écouter ce que tu lui dis. Pauvre petit, combien de fois je souhaite de pouvoir le voir.

Toi aussi chérie, je voudrais bien être auprès de toi, de pouvoir t’embrasser et te couvrir de mimis, comme autrefois.

Comme tu dois avoir du travail, tu dois bien te fatiguer. Tu as encore trop de porcs. Je crois que tu ferais bien de faire comme tu dis, de te débarrasser des deux jeunes. Tu en aurais encore bien assez avec celle qui te resterait.

Tu ne me dis pas si l’oncle Eugène vient vous aider souvent. Va-t-il travailler ailleurs?

 

Penses-tu que tu pourras faire charrier assez de bois pour l’été? Si tu  peux évite d’attendre l’été.

 

Chère Emma, nous sommes dans ce village-ci depuis plus d’une semaine. J’ai fait connaissance de plusieurs amis chrétiens. Nous avons trouvé une chambre où nous nous réunissons chaque soir pour lire la Parole et prier. Comme l’on est heureux de se trouver ainsi et de pouvoir causer des choses à venir. Nous sommes à présent huit. Nous sommes trois de ma Compagnie. Moi, un caporal et mon ordonnance. Il y a un nommé Bard de St. Basile, un nommé Roux de Piégros près de Ponsoye. Les deux ne sont pas à ma Compagnie. Chose étonnante nous sommes tous de l’Ardèche. Si nous n’avons pu nous réunir avant, c’est qu l’on ne trouvait pas de local et que nous ne restions pas assez dans chaque village. Aurons-nous ce bonheur de nous réunir pendant longtemps? Dieu le sait.

J’ai reçu une carte de Courret de Fringuet. Sa femme a du te demander probablement mon adresse, je lui est répondu le 9 ou 10/3. Il a passé un moment où nous n’étions  pas à 20 Kilomètres l’un de l’autre.

Ce soir je ne suis pas été rejoindre mes camarades au local, car j’avais trop plaisir de t’écrire, il y avait déjà bien longtemps que je n’avais pas causé avec toi. Je crois que nous n’avons pas à craindre de ne pouvoir plus nous correspondre. Aujourd’hui j’ai vu sur un journal que ces bruits étaient lancés par des allemands. Donc nous pourrons toujours nous écrire. Quel bonheur, n’est-ce pas?

Je te laisse pour aujourd’hui ma chère Emma et je te remercie de traités que tu m’as envoyés. Nous nous les faisons passer les uns les autres.

 

Je t’embrasse bien fort et te couvre de baisers

Ton époux

Molle.